Artiste du monde : vivre à temps plein entre les continents, les scènes et les cultures

Depuis plus de vingt ans maintenant, ma vie est rythmée par les fuseaux horaires, les escales improbables et les valises jamais tout à fait défaites. J’ai eu — et j’ai toujours — ce privilège exceptionnel de voyager à temps plein. Ce n’est pas une parenthèse, ni un rêve de vacances prolongé : c’est ma réalité, mon mode de vie, mon chemin d’artiste.

Quand je dis que j’ai fait le tour du monde plusieurs fois, ce n’est pas une figure de style. C’est une réalité géographique… mais aussi profondément humaine. J’ai chanté sur tous les continents, traversé les océans d’est en ouest, du nord au sud, à bord de navires majestueux ou dans des lieux plus intimistes, souvent loin des projecteurs, parfois au bout du monde, là où les routes ne vont plus. Des ports reculés, des îles presque oubliées, des villages suspendus dans le temps… et dans chacun de ces endroits, j’ai chanté, j’ai écouté, j’ai appris.

En tant qu’artiste invitée à bord de croisières internationales depuis plus de quinze ans, j’ai rencontré des publics venus de partout : Amérique du Nord, Europe, Asie, Océanie, Amérique latine… Chaque soir, je me produis devant un public multiculturel, composé de sensibilités diverses, de langues multiples, de regards curieux. Et pourtant, la magie opère. La musique — cette langue universelle — agit comme un passeport émotionnel. Elle nous unit dans un espace-temps suspendu, au-delà des mots et des différences.

Il y a quelque chose de profondément touchant à interpréter un répertoire international devant des gens qui ne partagent pas toujours ma langue, mais partagent mon émotion. Chaque chanson devient un pont entre les cultures. Un écho intime qui traverse les frontières. Sur scène, je ressens à quel point les émotions humaines sont les mêmes, où que l’on soit : la nostalgie, la joie, le doute, la passion. Elles n’ont pas besoin de traduction.

Mais la richesse de cette vie nomade ne se résume pas à la scène. Ce qui me bouleverse tout autant, c’est la rencontre avec les communautés locales. Car une croisière, ce n’est pas seulement naviguer d’un point A à un point B. C’est aussi mettre pied à terre dans des lieux souvent inaccessibles autrement, là où les circuits touristiques ne vont pas toujours, là où l’authenticité est encore préservée.

Et quand je suis « ailleurs », dans une culture qui n’est pas la mienne, mon premier réflexe — si vous me passez l’expression — c’est d’enlever mes chaussures avant d’entrer. Je parle ici d’un geste symbolique : celui de déposer mes repères, mes réflexes culturels, mes jugements. Être sur un autre territoire, cela impose le respect. C’est comme être invité chez quelqu’un : on observe, on écoute, on apprend. On n’arrive pas en terrain conquis. On avance avec délicatesse.

C’est une posture qui me semble naturelle, presque instinctive. Peut-être parce que je suis une artiste, hypersensible aux ambiances, à l’impalpable. Ou peut-être simplement parce que j’ai compris — à force de rencontres — que plus on avance avec humilité, plus les portes (et les cœurs) s’ouvrent. J’ai vécu des moments d’une rare intensité dans ces endroits peu fréquentés : un chant partagé dans une langue que je ne parle pas, une invitation à un repas fait maison, un silence respectueux devant un paysage sacré…

Ces expériences-là me transforment. Elles m’habitent longtemps. Et elles me suivent jusque sur scène, dans mes choix artistiques, dans mon interprétation, dans ma voix même. Je suis, au fil des années, devenue une sorte de mosaïque vivante, nourrie de fragments du monde entier.

Et puis… il y a cette réflexion qui me revient souvent.

Dans ce monde qui nous pousse à avoir une double identité pour exister — celle, bien réelle, de chair et d’émotions, et celle, virtuelle, hyper lissée, calibrée pour plaire aux algorithmes — je ressens une fatigue. Une distance. Une perte de sens. L’identité numérique devient un filtre, un écran, un miroir déformant qui finit parfois par remplacer nos vrais reflets. Elle nous éloigne plus qu’elle ne nous rapproche. Elle brouille les liens, affadit les rencontres, écrase la spontanéité.

Alors moi, je choisis l’humain.

Je choisis le regard qu’on soutient en silence, la main qu’on serre, le sourire qu’on échange sans arrière-pensée. Je choisis l’instant présent, imparfait mais vrai. Je choisis les conversations qui ne sont pas enregistrées, les erreurs de langage qui font rire, les maladresses qui rapprochent. Je choisis le souffle de la scène, l’énergie d’un public vivant, les applaudissements qui ne laissent aucune trace numérique mais qui résonnent dans le cœur.

Je crois profondément que c’est dans la chaleur humaine, dans l’écoute sincère, dans la présence réelle que se trouve la beauté du monde. Et c’est cette beauté-là que je cherche, encore et toujours, au fil de mes voyages.

Artist of the World: Living Full-Time Between Continents, Stages, and Cultures

For over twenty years now, my life has been shaped by shifting time zones, improbable ports of call, and suitcases that are never fully unpacked. I’ve had — and still have — the rare privilege of traveling full-time. This isn’t a break from “real life,” or a long vacation dream come true. It’s my reality. My lifestyle. My path as an artist.

When I say I’ve traveled around the world several times, it’s not a metaphor. It’s a geographical truth — but even more so, a deeply human one. I’ve sung on every continent, crossed oceans from east to west, north to south, performed aboard magnificent ships and in intimate settings, often far from the spotlight, sometimes at the very ends of the earth. Remote ports, forgotten islands, timeless villages… and in each of these places, I’ve sung, I’ve listened, I’ve learned.

As a guest entertainer aboard international cruise lines for over fifteen years, I’ve had the joy of meeting audiences from all over the world: North America, Europe, Asia, Oceania, South America… Every night, I perform for a multicultural audience made up of many languages, backgrounds, and stories. And yet, the magic happens. Music — this universal language — becomes an emotional passport. It unites us in a suspended space and time, beyond words and cultural divides.

There’s something profoundly moving about performing an international repertoire for people who may not share my language, but fully share the emotion. Each song becomes a bridge between cultures. An intimate echo that transcends borders. On stage, I feel how human emotions — nostalgia, joy, doubt, passion — are the same everywhere. They don’t need translation.

But the richness of this nomadic life goes far beyond the stage. What moves me just as deeply is connecting with local communities. Because a cruise is not just about going from point A to point B. It’s about stepping onto land in places often inaccessible any other way — where tour buses don’t go, where authenticity is still intact.

And when I find myself “elsewhere,” in a culture that isn’t mine, my first instinct — if you’ll forgive the expression — is to take off my shoes before entering. I mean this in the symbolic sense: I leave behind my assumptions, my cultural reflexes, my judgments. Being on someone else’s territory demands respect. It’s like being invited into someone’s home: you observe, you listen, you learn. You don’t show up as if the place belongs to you. You move gently.

This posture feels natural to me — almost instinctive. Perhaps because I’m an artist, hypersensitive to energy and nuance. Or perhaps simply because I’ve learned, through countless encounters, that the more humility you bring, the more doors — and hearts — open. I’ve lived deeply moving moments in places rarely visited: a shared song in a language I don’t speak, a home-cooked meal offered with generosity, a respectful silence in front of a sacred landscape.

These experiences transform me. They stay with me. And I carry them back onstage — in my artistic choices, my delivery, even in my voice. Over the years, I’ve become a kind of living mosaic, shaped by fragments of the world.

And then... there’s this thought that keeps coming back to me.

In a world that demands we have two identities to exist — one made of flesh and emotions, and the other digital, hyper-curated, filtered to please algorithms — I feel a kind of fatigue. A distance. A loss of meaning. This online identity becomes a mirror that distorts more than it reflects. It isolates us more than it connects us. It dulls real conversations, numbs spontaneity, flattens emotion.

So I choose the human.

I choose the glance held in silence, the hand we squeeze, the smile we exchange without performance. I choose presence — imperfect, but real. I choose conversations that aren’t recorded, linguistic mishaps that spark laughter, cultural missteps that lead to connection. I choose the breath of the stage, the energy of a living audience, the applause that leaves no digital trace — but echoes in the heart.

I deeply believe that beauty lives in human warmth, in sincere listening, in true presence. And that’s the beauty I seek, again and again, as I travel this world.

Pascale Guertin

Pascale Guertin is a freelance singer based in Montreal, Canada. This accomplished and soulful voice artist is possessed by her profession, dedicated to her audience and highly experimented in many aspects of the scene such as interpretation, song writing, artistic direction, mouvement. watch out! She'll put a spell on you!

https://www.pascaleguertin.ca
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